Difficile de les ignorer, ils sont partout… nous voulons bien sûr parler des Tiers Lieux. Ils étaient seulement une poignée il y a 15 ans et ils sont aujourd’hui plus de 3000 en France. Véritable phénomène de société, les tiers lieux bousculent les codes, transforment les façons de faire, expérimentent de nouvelles manières de vivre, apprendre, travailler, s’alimenter et se cultiver ensemble. Avec la reconnaissance publique du mouvement et cette massification des tiers lieux, nous observons un nouveau phénomène : tout le monde veut SON tiers lieu et se revendique comme tel ! Il semblerait qu’avoir son propre tiers lieu permette d’être dans l’ère du temps, original, de dépoussiérer ses habitudes, de répondre aux enjeux de notre société, de relancer l’économie et de rendre attractif un territoire, rien que ça ! Entre opportunisme de financement public, établissement à visée économique et projet citoyen de fond, comment s’y retrouver ? En tant que réseau de Tiers Lieu rural ardéchois nous souhaitons vous apporter notre modeste éclairage sur ce sujet qui nous touche.
Un peu d’histoire du mouvement : des pionniers…à la récupération de tendance
A l’origine des Tiers Lieux en France il y a plusieurs expérimentations de coworking simultanées sur tout le territoire vers 2007. Et puis, de rencontres en partages, certains lieux ont muté en ajoutant d’autres “briques d’activités” à leur lieu (jardin partagé, fablab, AMAP, épicerie, salle de spectacle, repair-café, etc.) tout en conservant une gestion et une animation par un collectif d’usagers. Ces lieux hybrides, qui mixent les publics, incarnent l’innovation sociale et la rendent visible et tangible. Leurs collectifs portent une volonté d’aller vers un monde meilleur en proposant et testant des solutions concrètes à côté de chez eux en “faisant société”. Progressivement ces précurseurs se sont retrouvés localement puis à l’échelle nationale et ont adopté ce concept de Tiers Lieu entre 2010 et 2015. Les Tiers lieux alors ont commencé à se regrouper en collectifs informels puis à se structurer pour travailler avec les acteurs publics, c’est le début des premiers réseaux (La compagnie des Tiers Lieux, La coopérative des Tiers Lieux, Tilios Tiers lieux libres et open source, …). C’est également le début des communs des Tiers Lieux avec la rédaction du Manifeste des Tiers Lieux en 2013 et la création de Movilab (le wiki des Tiers Lieux). Ces outils communs ont permis, et permettent encore de partager des ressources et de répondre à la plupart des questionnements sur les Tiers Lieux. En parallèle en Ardèche, le premier espace de coworking voyait le jour en 2014 dans le préau d’une école d’un petit village de 400 âmes. C’est à ce moment là que la Trame est née afin d’essaimer cette pratique de coworking en Ardèche méridionale (voir genèse de La Trame).
En 2017, L’Etat s’est intĂ©ressĂ© Ă la thĂ©matique du coworking comme un outil potentiel pour crĂ©er des ponts entre la ville et la campagne, il lance alors sa mission nationale coworking avec la Fondation travailler autrement. Cette grande enquĂŞte a abouti Ă la sortie d’un rapport en 2018 “Faire ensemble pour mieux vivre ensemble” oĂą l’État reconnaĂ®t officiellement le mouvement des Tiers Lieux. Peu de temps après, l’Etat a souhaitĂ© participer Ă ce mouvement en le structurant… Il y a eu la crĂ©ation d’un Conseil national des Tiers Lieux composĂ© de membres de la “filière”; le lancement du programme Nouveaux lieux Nouveaux liens; l’Appel Ă Projet 300 Fabriques de Territoire avec une enveloppe de 45 millions d’Euros et la crĂ©ation de l’association France Tiers Lieux; le tout en un an!
Entre 2019 et aujourd’hui, s’en est suivi plusieurs appels Ă projets nationaux et locaux permettant de financer les Tiers Lieux et leurs activitĂ©s. Les Tiers Lieux sont considĂ©rĂ©s par l’Etat comme un pilier important de la relance Ă©conomique du pays car ils agissent activement pour le dĂ©veloppement des territoires.
En quelques années les Tiers Lieux sont passés de projets marginaux d’avant-garde à des projets tendances qu’il faut absolument récupérer pour soi et son territoire ! Mais pourquoi tout cet engouement ?
Pourquoi tout le monde veut SON Tiers Lieu ?
Nous assistons à une profonde transformation de la société, notre rapport au travail et plus globalement notre vision du monde évoluent. De plus en plus de personnes expriment le besoin de cultiver du lien social, de préserver les ressources et d’expérimenter concrètement leurs idées alternatives à la société traditionnelle. La création de Tiers Lieux répond à ces besoins et relève d’une démarche ascendante, portée par un collectif multi-acteurs, concernés par les usages d’un lieu inscrit dans un territoire.
Aujourd’hui, le concept de Tiers Lieux intĂ©resse de nombreux acteurs : citoyens, entreprises, collectivitĂ©s locales, Ephad, foyers de jeunes, centres de formation…etc. Ils semblent attirĂ©s par l’intĂ©rĂŞt que les tiers lieux suscitent, la possibilitĂ© de dynamiser un territoire, un patrimoine immobilier, l’espĂ©rance de contribuer Ă la crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© du futur ou encore l’opportunitĂ© de financements publics.
C’est ainsi que par exemple la société VINCI Immobilier prend en compte les démarches collaboratives ayant notamment pour objectif la création de lien social dans la conception de leur projet d’habitat; ou encore que la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie lance un appel à projet visant à financer la création de tiers lieu en EHPAD. Ce type d’acteurs, initialement éloignés de l’état d’esprit des Tiers Lieux, décident de créer eux-mêmes des lieux multi-activités en espérant qu’une communauté se l’approprie ensuite. Il n’y a aucune garantie à priori que les usagers fassent tribu et donc un risque que le lieu reste vide, sous utilisé ou sans réelle vie. Cela nous amène sincèrement à nous questionner sur l’usage actuel du terme “tiers lieu”. N’est-il pas en train de muter?
Quels sens donner au mot “Tiers Lieu” ?
Il y a quelques années, l’un des membres du réseau La Trame 07 proche du plateau ardéchois nous faisait la réflexion suivante : “ah mais en faite c’est ça qu’on fait, c’est ça qu’on est, on est un tiers lieu”. A l’époque, les collectifs découvraient qu’il y avait un mot qui qualifiait ce qu’ils faisaient, ils l’utilisaient à postériori. “Faire ensemble” passait par un processus plus ou moins long, où l’on apprend à se connaître, à travailler ensemble, à tester, à rater, à réussir…pour eux, c’est le chemin qui est important. Aujourd’hui, certains porteurs de projet se décrètent “Tiers-Lieu” par la seule intention de vouloir en faire un, sans forcément connaître les fondamentaux des tiers lieux.
Il semblerait qu’il y ait une confusion entre « ÊTRE Tiers-Lieu” où il s’agit “d’avoir un titre” et “FAIRE Tiers Lieu” où il s’agit plutôt d’une pratique sociale.
A cette confusion s’ajoute récemment celle autour de l’usage du concept de “faire tiers lieu” qui semble glisser pour désigner les pratiques participatives auxquelles on ajoute un côté convivial afin de créer les conditions de la rencontre informelle. Tout ceci contribue à embrouiller les esprits, même pour les plus initiés…
Avec l’évolution des usages du mot Tiers Lieu, comment nous y retrouver ? Nous vous proposons quelques points de repères…
Proposition d’éléments de repères
A l’origine la notion de « tiers-lieu » a été construite par le sociologue américain Ray Oldenburg, dans un ouvrage paru en 1989, « The Great, Good Place ». Ce sont, selon lui : « Des lieux qui ne relèvent ni du domicile, ni du travail. Des lieux hybrides qui se situent entre l’espace public et l’espace privé, contribuant ainsi au développement économique et à l’activation des ressources locales ». Depuis, le concept a fait couler beaucoup d’encre…
Voici un recueil de nos définitions préférées, qui font sens pour nous 🧡
- Les Tiers Lieux du réseau ardéchois se sont prêtés à l’exercice d’apporter leur vision lors de leur deuxième rassemblement en 2019. Voici les résultats de leurs travaux ci-dessous.
- Des membres du réseau ont apporté leur touche d’humour sur la notion de Tiers Lieu lors de l’exposition Photo “des lieux peu communs” au CAUE de l’Ardèche.
- L’association France Tiers Lieu quant à elle propose cette définition “ Un tiers-lieu est un endroit qui hybride des activités pour répondre à un besoin du territoire. Il existe autant de définitions que de tiers-lieux ! Espaces de coworking, friches culturelles, fablabs, tiers-lieux nourriciers… ils ont en commun de réunir un collectif citoyen engagé, ouvert et favorisant la coopération.”
- Enfin dans l’appel Ă projet national Deffinov Tiers Lieux, l’État a retenu 5 critères pour dĂ©finir un Tiers-Lieu :
- Un fort ancrage territorial : ce sont des lieux qui rĂ©pondent Ă des besoins territoriaux et engagent pour ce faire des coopĂ©rations locales, en mobilisant les acteurs du territoire, pouvoirs publics, entreprises, associations, universitĂ©s… Pleinement intĂ©grĂ©s Ă leur Ă©cosystème local, les tiers-lieux adaptent les services proposĂ©s aux besoins et aux dynamiques propres des territoires oĂą ils sont implantĂ©s ;
- Une communauté d’acteurs locaux engagés : dans les tiers-lieux se retrouve une communauté d’acteurs (professionnels, partenaires, collectivités, associations…) qui développent des projets innovants pour leur territoire, en mutualisant des équipements, des moyens, des compétences ;
- Une gouvernance partagée : l’ensemble des parties prenantes, et notamment les usagers des lieux, sont impliquées dans la définition et l’orientation du projet de territoire ;
- Une hybridation d’activitĂ©s : les activitĂ©s et les types de publics accueillis (salariĂ©s, indĂ©pendants, demandeurs d’emplois, stagiaires en formation…) sont multiples et les modèles s’équilibrent entre activitĂ©s lucratives (services, formation, location, restauration…) et activitĂ©s d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral (inclusion numĂ©rique, remobilisation dans l’emploi, social…) ;
- Une dynamique d’expérimentation et d’innovation : espaces dédiés à la pratique, au faire soi-même, les tiers-lieux sont évolutifs et adaptables, ils favorisent ainsi l’émergence de nouveaux projets collectifs.
En quelques mots, si l’on pouvait rĂ©sumer, pour nous un Tiers lieu c’est : des gens qui font tribu (une communautĂ©) + un territoire (un lieu) + des actions communes (process)…
A vous de vous appropriez ces notions et de vous faire votre avis 🙂
Rédigé par Mélanie Clidière pour la Trame 07 avec Loraine Machado, coordinatrice La Trame 07. La Trame 07 est soutenue par :