Les Tiers Lieux agissent localement au service des défis majeurs à relever demain : la question du travail, du numérique, de l’alimentation et de l’habitat durable, de la gestion de nos ressources, de l’apprentissage, de la solidarité, de la santé… Des thématiques qui touchent de près les Collectivités Locales dans leur mission de service public, créant ainsi des zones de contacts avec les tiers lieux, qu’elles soient souhaitées ou non.
En tant que réseau de tiers lieux ruraux porté par un syndicat mixte, La Trame 07 se trouve exactement à cet endroit, à l’interface entre les Collectivités Locales et les Tiers Lieux. C’est pourquoi, nous souhaitons vous partager à travers ces quelques lignes nos constats sur le sujet, nos questionnements, nos recommandations et aussi des témoignages d’élus locaux ardéchois qui ont ouvert la voie pour leurs pairs à d’autres manières de faire et d’être…
Baromètre des relations entre les Collectivités Locales & les Tiers Lieux
Avant toute chose, il nous semblait important de qualifier l’état des relations entre ces acteurs. Après plusieurs années où nous avons régulièrement joué un rôle de médiateur et puis de facilitateur voilà notre constat : il existe un éventail de situations allant du “froid vers le chaud”.
Nous avons observé qu’il existe une première étape dans les relations entre les Tiers Lieux et les Collectivités Territoriales : soit la méfiance, soit l’indifférence, soit l’observation.
Bien entendu, les situations varient d’un territoire à un autre et relèvent souvent d’une “histoire de personnes” ou encore à des “querelles de clochers”. Ce premier niveau de situations est également variable dans le temps. Par exemple la situation de méfiance peut perdurer pendant des années et se débloquer avec un changement d’équipe de la Collectivité et/ou du Tiers Lieu. Ainsi, rien n’est prédéfini et écrit dans la pierre, les relations peuvent évoluer d’un état à un autre et atteindre la deuxième étape dans la relation, celle de la confiance mutuelle : la collaboration ou la coopération (ou ne jamais l’atteindre).
Avant d’arriver à cette deuxième étape de co-construction, il semble que le chemin vers de “bonnes relations” et une compréhension mutuelle peut être semé d’embûches. Il arrive même que la situation de méfiance débouche sur des relations de défiance qui s’installent.
Voici une liste non exhaustive des différences qui peuvent avoir un impact sur les relations entre les Tiers Lieux et les Collectivités Locales :
Manque d’un vocabulaire partagé et compris
Selon la Banque des Territoires “Le tiers lieu représente souvent pour les élus un concept novateur dont les contours peuvent être complexes à appréhender ”. En effet, les termes utilisés (coworking, fab-lab, living-lab, gouvernance horizontale…etc) sont éloignés des usages des Collectivités.
Néanmoins, depuis 4 ans, la reconnaissance et le soutien de l’Etat en faveur des Tiers Lieux a grandement contribué à porter à connaissance de ce qu’il se trame dans les Tiers Lieux. Nous constatons malgré tout que l’appropriation du sujet n’est pas uniforme dans toute l’Ardèche.
Dans le même temps, il est également complexe pour les Tiers Lieux d’appréhender le jargon administratif et de se repérer parmi les sigles, les compétences des Collectivités et leurs soutiens.
Des modes de faire souvent opposés
Les Tiers Lieux agissent en collectif avec un fonctionnement agile, transversal, souvent horizontal ce qui change des manières de faire “classiques”. En effet, les Collectivités fonctionnent majoritairement avec des procédures, une organisation “en silo” et hiérarchique. [Attention, cela ne veut pas dire que les tiers lieux n’ont pas de règles de fonctionnement et que les collectivités ne font pas preuve d’agilité, il s’agit ici de décrire une tendance globale qui ne fait pas état des singularités.]
Par ailleurs, les différences de temporalités entre les Tiers Lieux et les Collectivités Locales ajoutent également de la complexité dans les relations. La prise de décision et la réalisation des projets semblent rapides du côté des Tiers Lieux qui vont aller droit au but en mobilisant les forces vives du collectif. De son côté, la Collectivité Locale agit sur un temps long, la prise de décision et la mise en action se fait à plusieurs niveaux (technique et politique) et est contrainte dans une fourchette de temps qu’est celle du mandat politique.
De part et d’autre le fonctionnement est imprégné dans la posture et le quotidien, ce n’est donc pas évident de se remettre en cause pour faire ensemble du jour au lendemain. Ces modes de faire, de s’organiser et d’agir dans le temps ne sont pas forcément incompatibles mais nécessitent d’être explicités à chacune des parties pour dépasser les incompréhensions.
Les nouvelles façons de faire des tiers lieux interrogent les Collectivités sur leur rôle au sein d’un jeu d’acteurs qui se transforme. En Nouvelle Aquitaine, La Coopérative des Tiers Lieux a identifié des « pratiques fondamentales / limitées / spécifiques validées et des pratiques déviantes » en matière de relations entre la collectivité et les tiers lieux. Dans son rapport elle propose une liste de méthodes éprouvées pour faciliter les interactions avec les tiers lieux, nous vous recommandons vivement sa lecture ICI.
…En Ardèche, plusieurs Collectivités Locales se sont déjà positionnées en faveur des Tiers Lieux, voici l’histoire de 2 d’entre elles…
Un terreau fertile à la collaboration : la Confiance
Nous avons choisi de donner la parole aux élus engagés en faveur des Tiers Lieux en Ardèche et de vous présenter deux initiatives : celle de la Communauté d’Agglomération de Privas Centre Ardèche (CAPCA) et celle de la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche.
L’Appel à projet “Travailler autrement” un effet levier pour les tiers lieux du territoire – Une initiative de la CAPCA
En 2019, La Trame vous faisait déjà le récit d’une expérience positive sur le territoire de la CAPCA à Vernoux en Vivarais avec le bilan du Pass Découverte coworking (voir article ICI). Depuis, en 2020, une nouvelle équipe communautaire est arrivée et a souhaité garder le cap de l’accompagnement des tiers lieux tout en apportant une nouvelle méthodologie. C’est Madame Massebeuf, 1ère Vice-Présidente en charge du développement économique et de l’attractivité du territoire qui nous conte leur initiative :
“Nous avons été élus en juillet 2020, juste après le 1er confinement. Nous avons vite observé que notre territoire gagnait en nouvelle population issue de grandes villes, avec des envies de travailler différemment. Avec notre appel à projet “Travailler autrement” nous avons souhaité répondre aux besoins des acteurs de notre territoire en proposant un dispositif simple et adapté”.
Ainsi, après avoir visité les tiers lieux existants sur le territoire, la collectivité a lancé son appel à projet en juin 2021 avec une enveloppe globale de 30 000€. Les porteurs de projets ont eu 4 mois pour déposer leur dossier. Le règlement d’aide prévoyait un soutien à hauteur de 50% dans la limite de 10 000€/projet à destination de tous les nouveaux modes de travail dans les espaces partagés (artisanat et service). Les candidats ont pu soumettre leurs dépenses liées aux travaux de construction, réhabilitation de leur lieu, d’aménagement d’un lieu existant (achat de mobilier, de matériel informatique, de matériel de fabrication en neuf et occasion) et des dépenses liées à la communication autour du lieu.
“Notre état d’esprit est de faire confiance aux acteurs des tiers lieux qui savent ce dont ils ont besoin pour s’organiser et faire avancer leur projet. Nous sommes restés larges dans les dépenses éligibles et accessibles sur la constitution du dossier administratif. Après étude des candidatures, nous avons retenu 3 projets : La Biscuiterie à Privas (réhabilitation d’une ancienne biscuiterie pour la création d’un espace de coworking de 8 places), La Riposte à St Michel de chabrillanoux (travaux d’amélioration de l’espace pour accueillir plus de postes) et le Drakkar aux Ollières sur Eyrieux (travaux d’amélioration de l’espace pour accueillir plus de postes).”
“ Ces lieux constituent une chance pour nos territoires ruraux, ils nous permettent d’attirer de nouvelles compétences, de diversifier la population active de nos communes. Mon rôle d’élue est de faciliter la mise en œuvre de projets qui semblent avoir un vrai effet levier pour notre territoire.”
Accompagnement à l’émergence d’un tiers lieu sur un village de 200 habitants – Une initiative de la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche
En 2019, La Trame a été contactée par un petit groupe de jeunes travailleurs isolés situés sur le haut plateau ardéchois et qui avaient envie de se retrouver pour travailler ensemble. Très rapidement nous nous sommes rapprochés de la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche pour proposer conjointement un accompagnement à l’émergence de ce projet. Après plusieurs temps d’échanges pour rassembler une communauté d’usagers, définir le projet et trouver un lieu (voir article ICI, ou en vidéo ICI, ou en radio ICI), La Source est née sur le village de Sainte Eulalie. Une jolie histoire comme on les aime où chacun a trouvé sa place assez naturellement.
Monsieur Mallet, Vice-Président en charge notamment de la politique d’accueil d’actifs à la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche nous raconte :
“J’ai repris depuis les dernières élections le flambeau de la politique d’accueil d’actifs à la suite de Charles Valette. Notre territoire était en perte de vitesse au niveau de la population qui avait plutôt tendance à quitter le territoire. Depuis que notre politique d’accueil d’actifs est en place nous regagnons petit à petit des activités et de la population. C’est dans le cadre de cette dernière que nous avons souhaité accompagner ce groupe de jeunes du pays qui voulaient rester au pays et proposer une activité attractive autour du numérique. L’avantage de ce tiers lieu est qu’il permet de réduire les déplacements domicile-travail en favorisant le télétravail à proximité, tout en conservant sa qualité de vie. Je pense qu’il faut se nourrir de cette expérience positive pour égrainer et essaimer tout le territoire : c’est un moyen de garder des jeunes et des personnes en reconversion ou encore de permettre des transitions pour des personnes qui ont envie de changer de travail.
Une fois que le projet a été identifié, ce qui était capital pour nous c’était de faire confiance à ceux qui portaient l’initiative. Nous souhaitions respecter leurs décisions, être à côté d’eux mais pas au dessus, bref, notre rôle a consisté à travailler en complémentarité et à être des médiateurs et des facilitateurs. Le facteur de réussite est là : “accompagner mais pas chapoter”, c’est marcher à côté du porteur de projet et ne pas leur imposer notre vision, c’est être là en soutien, en facilitant les échanges avec les différents acteurs extérieurs.”
Il y a déjà quatre ans que ces deux Collectivités ont progressivement intégré l’accompagnement des initiatives portées par les Tiers Lieux dans leur politique. Leur posture est nouvelle, elles se disent “facilitatrices”, “à l’écoute des énergies locales” pour “pouvoir identifier le bon niveau d’intervention de l’action publique plutôt que d’imposer leur vision”.
Cette tendance est clairement accentuée depuis l’arrivée dans le paysage politique local du programme « petites villes de demain ». Tendance qui nous fait de plus en plus penser à un mouvement de fond…
Rédigé par Mélanie Clidière pour La Trame 07
Merci à la contribution de :
- Mme Massebeuf, 1ère Vice-Présidente en charge du développement économique et de l’attractivité du territoire à la Communauté d’Agglomération de Privas Centre Ardèche; Conseillère régionale
- Mr Mallet, Vice-Président en charge de la politique d’accueil d’actifs, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, de l’agriculture-forêt et de la mobilité à la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche
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